Kriss, la voix du Macintosh

Kriss : l’interview !

En 2004, nous avions eu le plaisir de poser quelques questions à Kriss Graffiti, de son vrai nom Corinne Gorse, l’une des grandes voix de France Inter. Vingt ans plus tôt, elle avait été la voix du Macintosh, en guidant les utilisateurs dans leur découverte de la machine, qui s’effectuait à l’aide d’un logiciel de démonstration et d’une cassette audio.

A.A : Revenons en 1984… Qui êtes-vous, Kriss, que faite-vous ?

Kriss : A cette époque, je fais un billet quotidien sur France Inter, entre 18 et 19 heures : Radio-Live. Ton insolent, impertinent, amusant, les pieds dans le plat, ce sont les instants forts de la vraie vie.

Comment s’est déroulé le contact entre vous et Apple ?

J’ai été contactée l’hiver 1983 par Jean-Louis Gassée, qui voulait me montrer un truc. Or je n’y connaissais rien en informatique, je tapais à la machine, je trouvais les ordinateurs froids. Moi, plutôt nomade, voyageuse, je me suis demandé un peu pourquoi ils m’avaient contactée ! Il a insisté, m’a demandé de venir voir, et voilà ! On s’est retrouvés autour d’une table, et il m’a parlé de cet animal qui allait émerger, et m’a présenté le bébé.

Kriss Graffiti Apple
Image extraite d’un portrait de Kriss dans le magazine Apple News

Quelle était votre place dans la stratégie publicitaire autour du Mac ?

Dans un premier temps, pour l’événement de lancement, j’étais chargée d’interviewer Jean-Louis Gassée, lui se mettant dans le rôle du Macintosh. En parallèle, on m’a demandé de faire une cassette mode d’emploi. On m’a donné une chronologie, et j’ai mis le texte à ma sauce !

« A votre sauce », ça comprend l’aspect sensuel de la narration ?

J’ai une voix qu’on dit érotique, et pourtant je n’en fais pas des kilos ! Mais sur le Mac, par moments j’ai rigolé, par exemple « l’interrupteur est sur ma fesse gauche, ma fesse gauche est à votre main droite, tout le monde sait ça ! ». Ce qui nous a valu une volée de courriers de féministes québécoises très en colère… Mais il ne me semble pas que toute la cassette soit érotique. Elle est ludique, joueuse, un peu effrontée ! À la base, de toute manière, l’idée de faire un mode d’emploi sonore était étonnante, et avec mon style en radio, l’idée était de rendre cet animal plus chaud, plus rigolo, et non glacé ! C’était une petite révolution.

Un extrait de la cassette « Visite Guidée du Macintosh »

Comment se passait le travail ?

On travaillait avec toute une équipe de fous, des gens qui avaient envie d’insolence, de rigolade, qui voulaient que ça explose, et ils ne s’étaient pas trompés d’axe !

Sur le coup, vous avez conscience de participer à quelque chose de révolutionnaire ?

Non. On me le dit beaucoup, mais je ne me rends pas compte de tout ce qui sortira de ces petites machines là. Je n’ai pas compris tout ce qu’il y avait derrière, même si les gens brillant et bienveillants qui m’entouraient essayaient de m’expliquer ! Parmi eux, Bruno Rives, lors d’un voyage en Irlande à la découverte de l’usine de l’Apple IIe. J’étais assise dans le car à côté de lui, et il essayait désespérément de m’expliquer le fonctionnement : « 1-0-1-0 »… Je l’ai épuisé, mais je n’ai pas tout compris !
Et quand on pense à tout ce qu’elle ne pouvait pas faire, cette machine… Mais dès le début, malgré ses inconvénients, elle m’a offert une nouvelle liberté dans l’écriture. Ensuite, on a eu des messageries, avant même Internet, et là j’ai compris qu’on entrait dans une autre ère, autre chose qu’une machine à écrire perfectionnée qui ne faisait pas de bruit.

Comment a continué votre collaboration avec Apple?

Je me suis beaucoup amusée, dans des conditions merveilleuses, entourée de gens intéressants et amusants. Jean-Louis Gassée avait une culture vaste, qui ne s’arrêtait pas à l’informatique, dans un univers où le Mac tourne souvent à l’obsession. En même temps, j’enregistrais les bandes sonores des serveurs téléphoniques d’Apple. La relation s’est arrêtée quand Jean-Louis Gassée est parti aux Etats-Unis, puisque je travaillais avec son équipe, et que ce n’était pas mon métier. 
Puis, avec une équipe de designers, j’ai lancé l’idée de peindre les ordinateurs : quand ils commencent à vieillir, je les peins ! L’idée était scandaleuse à l’époque, mais les gens ont fini par tomber sous le charme, et en 1989, pour les cinq ans du Macintosh, j’ai fait peindre toute une série d’ordinateurs, et l’œuvre a été présentée à l’Apple Expo.

Êtes-vous tombée sous le charme du Mac ?

On m’a prêté un Mac pendant la mise au point du mode d’emploi, et j’ai tout de suite voulu le garder ! J’ai fini par le donner quand j’ai changé de machine, sans me rendre compte de sa valeur d’objet de musée ! Depuis, je suis restée « Apple », j’ai des Apple, plutôt des portables : actuellement un PowerBook G4. Parfois je m’interroge sur la différence de prix entre les PC et les Apple, mais je me console en me disant que mes copains ont des virus et moi non. Mais le culte n’est pas dans mon état d’esprit. Je ne suis pas restée dans le passé, je n’ai même plus la cassette, je suis plus tournée vers l’avenir. Même éblouie, je reste prudente : passer trop de temps devant un écran peut être dangereux ! Alors je fais des phases de désintoxication, des périodes sans relever mes mails. L’ordinateur me sert à énormément de choses : montage des émissions, achats sur Internet, photographies… Mais je ne veux pas qu’il me mange. À trop vouloir se simplifier la vie, on finit par l’alourdir…

Un mot de la fin ?

Quand même, j’aime bien mon ordinateur, je suis contente à chaque fois que je change de jouet, ça reste un plaisir de suivre l’actualité de la marque, sans tomber dans la dernière mode à tout prix. Je suis juste une sympathisante ! L’ordinateur est devenu un partenaire de l’existence : dans le spectacle que je suis en train d’écrire, mon Mac joue un rôle…

Cette interview téléphonique a été réalisée en janvier 2004. Kriss est décédée le 19 novembre 2009.