L’Apple II

Alors que l’Apple continue de se vendre doucement, Stephen Wozniak est déjà en train de travailler sur l’Apple II. Pour améliorer l’Apple 1, il imagine un écran en couleurs, une mémoire vidéo incluse dans la mémoire vive pour accélérer l’affichage… Wozniak s’inspire du travail qu’il avait effectué pour développer le jeu Breakout d’Atari : tout d’abord, ajouter la couleur dans le basic, ajouter le son, puis créer des manettes pour jouer, et surtout, surtout, réduire le nombre de composants électroniques nécessaires pour y parvenir… Toutes ces fonctions qui feront le succès de l’Apple II n’ont en fait été pensées que dans le but de créer une version Apple de Breakout, et c’est d’ailleurs les exigences du jeu lui-même qui conduiront Apple à doter son Apple II de 4 Ko de mémoire vive ! De manière plus révolutionnaire encore, Wozniak comprendra lors du développement de l’Apple II que la programmation de logiciels offrait des perspectives bien plus grandes que la programmation de puces électroniques, et que le succès de l’informatique personnelle viendra de la capacité d’exécuter n’importe quel logiciel sur une unique machine.

Wozniak et Jobs s’opposent sur un point : Wozniak veut inclure 8 baies d’extension dans l’Apple II, tandis que Steve Jobs ne voyait pas l’intérêt d’en inclure plus de 2 : une pour le modem et une pour l’imprimante. Wozniak, suivant son intuition, était persuadé que les informaticiens trouveraient de toute façon un usage aux 8 slots, et son point de vue finira par l’emporter.

L’Apple II possède 4 Ko de RAM pouvant être étendus à 48 Ko ; il est propulsé par un processeur MOS Technology 6502 à 1 Mhz, et ses programmes sont stockés sur cassettes. Il interprète également le langage Integer BASIC qu’il partage avec l’Apple I original, mais en l’intégrant en ROM pour éviter de devoir le charger depuis une cassette. Outre son génie pour concevoir un matériel attrayant, Wozniak a déployé des trésors d’astuce afin de maintenir les prix les plus bas. Etant bricoleur dans l’âme, il ne peut concevoir qu’on dépense de l’argent dans l’achat de composants inutiles ou redondants, et révise à de nombreuses reprises le schéma de sa carte-mère pour le simplifier. Résultat : l’ordinateur est suffisamment bon marché pour que le consommateur moyen puisse l’acheter.

Le rôle de Jobs est encore plus subtil : pour transformer l’Apple II en produit de consommation de masse, il décide de cacher les circuits électroniques dans un innocent boîtier en plastique, donnant un aspect relativement banal à l’Apple II. Sur ses instructions, le boîtier est dessiné par Jerry Mannock, tandis que Rod Holt mettait au point l’alimentation de l’Apple II, une alimentation à découpage encore peu répandue dans l’électronique grand-public, garantissant un meilleur rendement et moins de dégagement de chaleur que les alimentation linéaires largement utilisées à l’époque.

Un autre élément intéressant de l’Apple II était son désassembleur : ce petit logiciel permettait à n’importe qui de connaître les commandes que les logiciels envoyaient au processeur. Ainsi, les connaissances informatiques étaient partagées et totalement libres, comme le souhaitaient les membres du HomeBrew Club où Wozniak se rendait encore régulièrement durant le développement de son ordinateur.

En avril 77, l’Apple ][ est présenté pour la première fois au public, lors de la First West Coat Computer Faire. Les derniers défauts ont été réglés à la dernière minute, comme ce problème d’électricité statique qui bloquait l’interface du clavier après 20 minutes. Les boîtiers viennent à peine d’être récupérés auprès du fabriquant auquel ils avaient renvoyés suite à des défauts. Quant aux logiciels de démonstration, ils ont été mis au point par Chris Espinosa et Randy Wigginton, deux employés d’Apple encore étudiants, chargés de mettre en valeur les capacités sonores et graphiques de l’Apple II. Pour cette première présentation, Apple abandonne son ancien logo (Newton sous son arbre) et charge l’agence Regis McKenna de lui en créer un nouveau. Avec son nouveau logo et ses larges plaques de plexiglas éclairées et marquées du logo, le stand d’Apple semblait plus professionnel que tous les autres ! De plus, le stand d’Apple était l’un des plus proches de l’entrée du salon, et tous les visiteurs le voyaient dès leur arrivée. Malgré cela, la presse ne mentionna même pas la présence d’Apple au salon… Pourtant, les mois qui suivirent l’exposition virent plusieurs de milliers de commandes arriver chez Apple !

Dès le mois suivant, Apple devient la première entreprise d’informatique à faire de la publicité dans des revues grand public, là où la plupart des constructeurs ne s’intéressent qu’aux revues d’électronique.

Pour Apple, l’après-Apple II se scinde en deux familles : d’un côté, l’Apple III pour les professionnels, et de l’autre côté, des déclinaisons de l’Apple II pour les particuliers. Deux familles, sous la responsabilité de deux équipes, et qui ne connaîtront pas la même fortune : l’Apple III ira droit dans le mur, tandis que l’Apple II connaîtra un grand succès, avec cinq à six millions d’exemplaires vendus.

Après l’Apple II, vint le II+, avec 48 Ko de Ram par défaut, en 1979, pour 1195 dollars. Lui succédèrent le IIe (extensed), IIc (condensed), IIGS (graphic & sound) et le IIC+, lancé discrètement à l’époque où les Macs commençaient à découvrir l’extensibilité avec les Macs II. En effet, et contrairement à une croyance répandue, Apple a bien continué à produire des Apple II longtemps après le lancement du Macintosh : l’Apple IIe, très populaire dans les écoles, n’a été supprimé du catalogue Apple qu’en 1993 !

Une série limitée de l’Apple II GS, portant la signature de Steve Wozniak et renommée « Woz edition » fut commercialisée, accompagnée d’un certificat d’authenticité et d’une lettre de remerciement de l’intéressé ! 10.000 exemplaires furent commercialisés en 1986, marquant les dix ans de la création du premier Apple.